Retrait des molécules : l'étau se resserre
Entre retraits et restrictions d’usages, bon nombre de substances actives se sont retrouvées en 2023 sur la sellette, voire hors-jeu. Tour d’horizon.
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Alors que le gouvernement prône depuis février dernier l’adage « pas d’interdiction sans solution », l’étau semble pourtant se resserrer autour des substances actives chimiques. « Depuis 2011, le taux de non-renouvellement est globalement de 50 % », retranscrit Patrice Marchand, coordinateur du pôle intrants à l’Itab, dans son étude « Produits chimiques phytopharmaceutiques de l’UE en 2023 : état actuel et perspectives », publiée le 8 février dernier dans Agrochemicals. Ainsi, il estime que d’ici dix ans, il n’en restera plus que 115 contre 234 en 2022. En cause ? « Les effets conjugués d’un tarissement des arrivées de nouvelles substances actives chimiques et la suppression de celles existantes, sans que l’arrivée de nouveaux types de molécules ne compense ce déclin », écrit-il. D’ailleurs, ce sont pas moins de 166 substances actives chimiques qui vont voir leur agrément prendre fin en 2023 et 2024. La sentence est d’ailleurs tombée pour certaines.
Un sursis pour le prosulfocarbe
Le 12 septembre, la Commission européenne a annoncé la prolongation de la période d’approbation du prosulfocarbe. « Étant donné que les États membres rapporteurs n’ont pas encore achevé l’évaluation des risques et compte tenu du temps nécessaire pour conclure les étapes restantes de chaque procédure de renouvellement, il convient de fixer à 39 mois la durée de la prolongation pour les substances actives », avait-elle précisé. Ainsi, le prosulfocarbe a vu son AMM s’étendre jusqu’au 31 janvier 2027.
Toutefois, à la suite de l’évaluation des risques de la substance active pour les riverains, l’Anses a défini de nouvelles conditions d’utilisations. Dans les grandes lignes, depuis le 1er novembre, les doses doivent être réduites de 40 %. Ainsi, celles appliquées sur blé tendre d’hiver, blé dur, seigle, etc. passent de 5 à 3 l/ha. De plus, les agriculteurs ont l’obligation d’utiliser des buses réduisant la dérive de 90 % et de respecter une distance de sécurité de 10 m avec les zones d’habitation. Pour ceux qui ne sont pas encore équipés, une distance de sécurité de 20 m doit être respectée. Enfin, les firmes détentrices d’une AMM de ces produits devront, avant le 30 juin 2024, fournir des données relatives à l’efficacité de ces nouvelles mesures. Dans le cas contraire, les autorisations seront retirées, sans délai.
Face à ces restrictions, les réactions ne se sont pas fait attendre. Pour l’AGPB, ces restrictions « imposent une distorsion de concurrence européenne intenable ». Quant à Générations futures, fervente opposante au prosulfocarbe, elle s’interroge sur l’efficacité de ces mesures : « Comment la mise en place de ces décisions sera-t-elle contrôlée ? Est-on certain que la distance de 20 m suffira à faire diminuer suffisamment l’exposition des riverains ? » L’ONG appelle à retirer les AMM des produits concernés. « Cette prolongation au niveau européen de plusieurs années du prosulfocarbe, un pesticide posant tant de problèmes, sans nouvelle évaluation, est tout simplement scandaleuse », déclarait alors son porte-parole, François Veillerette.
Rideau pour le S-métolachlore
La dimoxystrobine et le S-métolachlore n’ont pas connu un sort aussi favorable. Le S-métolachlore, herbicide utilisé en grandes cultures, a particulièrement fait parler de lui cette année. À commencer par l’Anses qui, en février dernier, engageait une « procédure de retrait des principaux usages des produits phytopharmaceutiques à base de S-métolachlore afin de préserver la qualité des ressources en eau ». Un nouveau coup de semonce pour le secteur agricole. Les associations spécialisées grandes cultures de la FNSEA ont notamment fait part de leur inquiétude face aux retraits successifs « des molécules essentielles à la production agricole et au maintien de filières compétitives ». Le secteur a ainsi dénoncé une procédure d’interdiction qui intervient alors même que « la procédure européenne de réexamen de l’autorisation de mise en marché de la molécule n’est pas arrivée à son terme ». Ce décalage avec le calendrier européen provoquera « une nouvelle situation de surtransposition réglementaire et donc des distorsions de concurrence inacceptables avec les autres États membres de l’UE », ont-elles fait savoir.
En mai, la Commission européenne annonçait la prolongation de la période d’approbation du S-métolachlore jusqu’au 15 novembre 2024. En effet, son approbation devait expirer en juillet mais le règlement du 4 mai 2023 publié dans le Journal officiel de l’Union européenne a annoncé qu’un « délai supplémentaire était nécessaire pour prendre une décision en matière de gestion des risques ». Une décision qui fait suite aux conclusions de l’Efsa sur l’évaluation des risques liés aux pesticides contenant la substance. Et la décision a été rapide, puisqu’à la mi-octobre, les experts des États membres rejetaient la proposition de renouveler le S-métolachlore ainsi que l’asulam-sodium, le benthiavalicarb, le clofentézine, le metiram, et le triflusulfuron-méthyle. L’approbation du S-métolachlore prendra donc fin définitivement au 15 novembre 2024 pour l’Europe, mais pas pour la France. L’Hexagone a en effet fixé la fin de vente et de distribution au 20 octobre 2023 et la fin d’utilisation des stocks au 20 octobre 2024. « La France a anticipé une décision européenne de quelques mois et pénalise ses producteurs par rapport à nos concurrents directs, réagissait Franck Laborde, président de l’AGPM. Depuis le 20 octobre, seuls les agriculteurs français en Europe ne peuvent plus acheter de S-métolachlore. Au-delà du débat sur la nocivité du S-métolachlore, nous ne pouvons pas accepter cette distorsion de concurrence, y compris avec nos premiers voisins. Nous demandons qu’en France, ces décisions soient en adéquation avec les calendriers européens. » Céline Duroc, directrice de l’AGPM, dénonce notamment l’influence de la France dans ces décisions. « Sans la France, les délais auraient pu être probablement plus longs », déplore-t-elle.
Pourtant, l’AGPM a été force de proposition. « Cette molécule étant essentielle en maïs doux et maïs semence, nous avons proposé une homologation sous conditions, c’est-à-dire de traiter sur le rang à des doses réduites et de désherber mécaniquement dans l’interrang. Cela nous a été refusé. Nous n’avons pas été entendus », regrette Franck Laborde.
La dimoxystrobine tire, elle aussi, sa révérence. Le règlement d’exécution du 10 juillet de la Commission a notamment signé la fin de son approbation. Les États membres devront retirer les AMM des produits phytosanitaires contenant la substance active au plus tard le 31 janvier 2024. Un délai de grâce pourra être accordé par les États membres jusqu’au 31 juillet.
La filière cerise en péril
Ce phénomène de retrait des molécules actives, la filière française de la cerise le connaît bien. La dernière interdiction en date concerne le phosmet, jusque-là dernier rempart, voire l’un des derniers contre Drosophila suzukii. L’utilisation des stocks expirant le 1er novembre 2022, les arboriculteurs se sont retrouvés dans l’impasse pour cette campagne 2023. Le ministère de l’Agriculture avait alors reconnu en juillet que la filière faisait face à une « crise liée aux conséquences d’épisodes climatiques violents qui ont ensuite favorisé les attaques de mouches ravageuses de récoltes ». Il avait annoncé être « aux côtés des producteurs pour les aider à surmonter cette crise ». Ainsi, le dispositif d’aides exceptionnelles destiné à compenser les pertes de chiffre d’affaires pour les exploitations les plus touchées a été lancé fin octobre. « Jusqu’à 10 M€ pourront être mobilisés pour ce dispositif réservé aux filières cerise et noix », a annoncé le ministère.
De plus, la France salue la décision de la Commission européenne d’avoir fait entrer en application, depuis le 15 septembre, l’interdiction européenne d’importer des cerises contenant des résidus de phosmet. Ainsi, les exigences seront les mêmes pour les cerises importées et pour celles d’origine européenne. Ce règlement permet à la France d’abroger l’arrêté du 16 mars 2023 qui interdisait sur un an l’introduction, l’importation et la mise sur le marché de cerises fraîches produites dans un pays autorisant l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant du phosmet. « Les contrôles réalisés par les douanes aux frontières et par le ministère chargé de l’Agriculture chez les distributeurs seront renforcés dans les prochains mois ainsi qu’en 2024 », a fait savoir le ministère de l’Agriculture.
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